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A table avec l’ennemi, une émission diplomatico-culinaire

12.11.14

La guerre civile colombienne, le Fatah contre le Hamas à Gaza, le génocide rwandais, la révolte au Chiapas ou les Tamouls contre les Cinghalais au Sri Lanka… Ces conflits peuvent-ils se résoudre autour d’un bon repas ? TV5 diffuse, jeudi soir au Canada, la série documentaire « À table avec l’ennemi ». Le chef Charles-Antoine Crête et le journaliste Frédérick Lavoie réunissent autour d’un menu gastronomique les protagonistes de ces conflits.

Production de Media Ranch, « À table avec l’ennemi » est un programme inspiré du format norvégien Til bords med fienden, ayant connu plus qu’un succès d’estime en récoltant notamment le prix « Best specialist programme » de l’Association of International Broadcasting de Londres et plusieurs autres récompenses. Il s’agit de la première adaptation de ce format à l’extérieur de son pays d’origine. Cette émission met en scène un duo : le chef québécois Charles-Antoine Crête qui officie en cuisine et un journaliste indépendant, Frédérick Lavoie qui mène les discussions diplomatiques. Nous avons rencontré ce dernier.

Au vu du premier épisode, en Colombie (diffusé sur TV5  jeudi soir à 20 h, heure de Montréal, ndlr), l’émission est surtout un  long processus pour trouver des invités qui acceptent de se mettre à table… Ce qui permet aussi d’en savoir plus sur l’histoire du conflit. Le repas est-il un accessoire ?
Oui, l’émission est une véritable quête, car évidemment, tout le monde n’est pas d’accord pour participer d’emblée. Le chef, de son côté, cherche des ingrédients pour composer son menu. On voyage tous les deux dans le pays, et nous rencontrons les habitants afin de mieux comprendre ce qui se passe et comment ils le vivent. Le repas est un prétexte dans tout ça. L’idée c’est bien de mettre ensemble dans une même pièce des gens qui d’ordinaire ne se parlent pas.

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Charles-Antoine Crête et Frédérick Lavoie au Rwanda

D’ailleurs on voit finalement assez peu les plats. Ceux qui attendent un show culinaire en seront un peu pour leurs frais…
Le chef n’est pas dans l’idée de montrer son talent mais plutôt les gens qu’il rencontre. Il ne voulait pas non plus impressionner ou « revisiter » une cuisine locale mais faire son possible pour que la soirée se passe bien, que les gens soient heureux de manger. D’ailleurs, souvent, ce sont des plats à partager, pour que les invités soient amenés à se passer les couverts, les sauces, le sel etc… Ce qui favorise le contact. Charles-Antoine fait de la cuisine avec rien, c’est sa particularité. Ce n’est pas un chef qui va raconter pendant une heure ce qu’il y a dans son plat. Ça lui a plu je crois de pouvoir participer à la discussion, de se transformer en apprenti journaliste. Moi, de mon côté, j’ai appris plein de choses sur la bouffe. Le voir travailler en cuisine, c’est vraiment de toute beauté.

Pour autant, est-ce que l’invitation à manger a joué un rôle dans le fait de réussir à mettre dans une même pièce de vrais ennemis politiques ?
Bien sûr. Souvent les gens disaient : « Oui, je veux bien venir, mais est-ce que le chef est bon ? » Certains s’en amusaient : « Je n’ai rien à perdre, et au pire, j’aurai gagné un bon repas »… Car en effet, un repas gastronomique gratuit, c’est toujours bon à prendre !

Dans l’émission colombienne, dès le début de la soirée, l’un des invités accuse l’autre de l’avoir menacé de mort…. L’ambiance est donc électrique. Comment faire pour que la discussion ait quand même lieu ?
Ils ont finalement accepté de passer à table. Charles-Antoine a apporté une soupe avec des culs de fourmis, l’un des mets qu’il avait goûté chez une chef locale. On a fait des blagues avec ça, l’atmosphère s’est détendue. A chaque fois, il y a environ une heure de repas, où l’on parle de tout et de rien… On tourne autour du pot mais le but, c’est de s’attaquer aux choses sérieuses au dessert. Le repas sert à ça, à créer une espèce de zone tampon.

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Charles-Antoine Crête et Frédérick Lavoie au Sri Lanka

Vous avez été correspondant à Moscou. Dans l’espace post-soviétique, on dit souvent que les révolutions commencent dans les cuisines. La table est un espace politique ?
Moi, quand on m’a approché, c’est ce que j’y ai vu : dans chaque famille, avec les amis, partout dans le monde, il y a toujours un moment où on va se mettre à parler politique à table. Et c’est intéressant, car même si on n’est pas d’accord, c’est une règle, on ne quitte pas la table. Au pire on fera un peu la gueule… Et puis les gens sont invités, donc ils ne peuvent pas partir comme ça. C’est un moyen de les retenir ! Le biais de la nourriture nous fait aussi comprendre des choses sur les pays où nous allons : Par exemple à Gaza, la moitié des produits viennent d’Israël sur le marché, ce qui nous a beaucoup étonné. Et on trouve de tout, car il y a tellement d’attention portée à cette partie du monde que la nourriture ne manque pas. Et puis il y a aussi tous ces chefs que Charles-Antoine rencontre et avec qui, bien sûr, il parle de la situation politique. Je me souviens par exemple de ce cuisinier qui se faisait un devoir d’embaucher des indigènes au Chiapas, ce qui est une forme d’engagement politique au vu du contexte.

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