Analyse Société

Quand le genre s’invite à table

16.01.15

Vous croyez à l’égalité parfaite entre homme et femme en marche partout et même dans la sacro-sainte cuisine ? Gare, car le genre est souvent plus fort que nous… C’est ce qu’on cherché à démontrer les chercheurs invités au colloque sur l’Alimentation dans les familles contemporaines en Europe, qui se déroulait à Strasbourg les 15, 16 et 17 janvier.

Marie-Clémence le Pape et Marie Plessz, travaillant respectivement à l’université Lyon 2 et à l’Institut national de recherche agronomique (Inra), sont entrées dans plusieurs foyers de la région parisienne, d’une ville bourguignonne et dans le Sud-Ouest rural, pour comprendre comment les familles s’approvisionnent en produits alimentaires. Les deux jeunes femmes se sont concentrées sur ce qu’elles appellent les « couches supérieures des classes populaires », c’est à dire ni pauvres, ni précaires, et ont interrogé des hommes et des femmes qui travaillent : facteurs, coiffeurs, ouvriers… A partir d’observations simples (par exemple, qui fait la liste ? ), elles montrent que c’est encore le plus souvent la femme qui s’acquitte de la corvée de courses, même si c’est l’une des tâches ménagères les mieux partagées. Elles battent également en brèche l’idée d’une égalité effective entre les hommes et les femmes, et ce malgré l’affirmation de certains sujets qui déclarent fièrement : « A la maison, c’est mon mari qui fait tout ! ».

L’homme sous surveillance
Car si l’homme s’y colle, c’est souvent sous la surveillance de sa compagne, qui va contrôler en amont et en aval les produits sélectionnés. « L’approvisionnement est balisé », remarque Marie Plessz. L’étude valide ainsi, par le biais de l’alimentation, l’importance du contrôle maternel dans les relations homme-femme, la mère jugeant souvent comme  faisant partie de son rôle de veiller aux denrées qui rentrent ou sont consommées dans la maison. Ainsi cette jeune maman, interrogée, qui se désole de voir son époux acheter du soda, ou cette autre qui cachera les sucreries qu’elle a elle-même achetées au fond du placard, loin des enfants.

Quand au choix de l’alimentation, plusieurs scénarios sont possibles : les arbitrages sont en général facile quand les deux membres du couple ont eu à peu près la même « socialisation alimentaire », que l’on aurait tendance à traduire trop vite par « habitudes familiales ». Manger plus ou moins de viande ou de poissons, choix des sauces, des accompagnements, tolérance plus ou moins forte au gras, au sucré, à l’exotique etc… Le conflit advient quand deux « cultures de l’alimentation » s’affrontent, et se cristallisent sur l’alimentation des enfants. Les femmes, intériorisant le rôle de « gardien de la qualité nutritionnelle du foyer », vont prendre l’ascendant, souvent à leur corps défendant.

Quand on vieillit… les choses ne s’améliorent pas
Philippe Cardon, chercheur à Lille, fait lui un saut dans le temps, et s’intéresse aux couples de retraités. Et très clairement, « le sexe joue un rôle central sur les habitudes alimentaires et les activités quotidiennes liées à l’alimentation » dans les ménages. Le passage à la retraite tend même à « renforcer les rapports de genres », et le « confinement de la femme dans l’espace privé ». La plupart des sujets que Philippe Cardon a interrogé -ils ont entre 65 et 85 ans et vivent dans plusieurs régions de France- disent malgré la vieillesse respecter le dogme des trois repas par jour, à heure fixe. Le repas est même un passage obligé, plus long que chez les autres générations, qui va structurer le quotidien ralenti par l’âge.

Mais là encore, ce sont les femmes qui s’y collent… Même si, libérées de leurs obligations professionnelles, les hommes vont mettre la main à la pâte en faisant davantage les courses qu’avant. Quant au contenu des repas, « qui s’adapte à l’autre ? », interroge benoîtement Philippe Cardon : les femmes, encore elles. « Même au moment de la retraite, il y a une continuité des habitudes conjugales, qui conduit le plus souvent les femmes à évacuer certains des plats qu’elles aiment pour s’adapter au régime alimentaire et au goût de leur mari ». Une constatation confirmée par l’observation du veuvage féminin, où l’on voit des plats régionaux ou familiaux resurgir sur la table des femmes seules…

Dépendance culinaire
Quand la maladie touche l’un ou l’autre membre du couple, là encore, les réponses vont différer selon le sexe. Quand l’homme est face à la maladie de sa compagne, il va souvent déléguer à un tiers, proche ou professionnel ou tenter maladroitement de prendre  le « genre de l’autre », selon les mots du chercheur. Tandis ce que les femmes dont le conjoint est diminué vont en grande majorité continuer de cuisiner et de préparer les repas, en plus du soin à apporter au malade. « Maintenir le repas, pour maintenir le corps du mari, parfois jusqu’à l’épuisement», constate Philippe Cardon.

Comment mangent les familles européennes, comparaisons européennes
Les 15, 16 et 17 janvier
Strasbourg
Comment mangent les familles contemporaines ? C’est à cette question que ce sont attelés des chercheurs venus de toute l’Europe les 15,16 et 17 janvier, à Strasbourg. Le colloque international, qui s’intéressait aux parcours d’approvisionnement comme aux pratiques culinaires, a été organisé par par la Maison inter-universitaire des sciences de l’homme d’Alsace.

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