Analyse Monde

L’Alaska, symbole d’Obama pour engager les USA dans la bataille du climat

01.09.15

Par sa durée et son ampleur, cette visite présidentielle est sans précédent dans l’histoire américaine. Et Barack Obama n’a pas choisi cet immense Etat au hasard. L’Alaska est aujourd’hui en première ligne face au défi du changement climatique. Plus qu’un symbole, un signal fort lancé à tous les décideurs de la planète qui se retrouveront à Paris, en novembre prochain, dans le cadre de la Cop 21.

« Le changement climatique n’est pas une menace lointaine sur laquelle nos enfants et nos petits-enfants devront se pencher. C’est maintenant, c’est là ! » Ces mots ont retenti, lundi, en Alaska. Prononcés par un John Kerry plus qu’inspiré, ils ont ouvert cette conférence internationale sur l’Arctique dont les Etats-Unis veulent faire un véritable symbole à trois mois de l’ouverture de la 21e conférence onusienne sur le climat.

Avant que Barack Obama ne le rejoigne et lance son désormais fameux : « Tant que je serai président (jusqu’en janvier 2017, ndlr), l’Amérique jouera un rôle central pour répondre à la menace du changement climatique avant qu’il ne soit trop tard », le chef de la diplomatie américaine a longuement insisté sur l’importance de ces négociations à l’approche du rendez-vous de Paris. « Elles auront un impact profond sur l’avenir de la vie sur cette planète », a-t-il lancé. Et si la plupart des observateurs prédisent déjà un échec quant à l’objectif affiché par la communauté internationale de limiter à 2°C la hausse des températures, l’emballement climatique planétaire est déjà bien présent dans nombre d’esprits.

Plus qu’un symbole, l’Alaska est la preuve même du côté irrémédiable du changement climatique. Ainsi, sur les 60 dernières années, l’Arctique a connu une hausse des températures deux fois plus rapide que celle enregistrée dans le reste du monde. En Alaska, le nombre d’incendies majeurs a doublé depuis les années 80. Au regard de ces chiffres, les scientifiques mettent régulièrement en garde contre l’autre bombe à retardement que représente un dégel du permafrost (sous-sol gelé) qui emprisonne des milliards de tonnes de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone mais aussi méthane). « Ici, résume Ethan Berkowitz, nous vivons tous les jours avec les effets du changement climatique, pourtant créé très loin de chez nous. » Et le maire d’Anchorage – ville qui accueille sur conférence internationale sur l’Arctique – d’évoquer « la hausse récurrente du niveau de la mer ou encore le recul alarmant des glaciers ».

La télé-réalité à la rescousse du climat
Derrière les mots de John Kerry et d’Ethan Berkowitz, la Maison Blanche a soigneusement chorégraphié ce déplacement présidentiel. Peut-être d’abord parce que les USA sont le deuxième plus gros émetteur de gaz à effet de serre de la planète, derrière la Chine. Sûrement aussi parce que la récente conversion de Barack Obama est aussi tardive que sincère. Par ses propos et images fortes à l’appui, l’administration étatsunienne entend également prendre la tête de la mobilisation des pays riches sur cette urgente question. Rendant le changement climatique à la fois palpable et concret au citoyen américain moyen.

Autre preuve de la volonté de la Maison Blanche de toucher un public aussi large que possible, la chaine NBC a annoncé qu’à l’occasion de son déplacement en Alaska, le président participerait au tournage de l’émission de télé-réalité Running Wild with Bear Grylls. Un show qui pousse les candidats dans leurs derniers retranchements en milieux hostiles. Selon des informations transmises à l’AFP, cet épisode sera diffusé d’ici la fin de l’année.

Timing parfaitement exécuté par un Barack Obama qui, en fin de second mandat, n’a plus rien à perdre politiquement parlant, la récente venue du président étatsunien en Alaska n’est pas vécue comme une bonne nouvelle par tout le monde. Vendu en 1867 aux Etats-Unis par l’Empire russe, cet Etat est aussi celui où le pétrole occupe plus que jamais une place géopolitique centrale en ces temps d’énergies de plus en plus rare et chère. Dans le sillage de ce déplacement présidentiel, nombre d’habitants de celui qu’on appelle aussi le 49e Etat redoutent que l’administration en oublie les difficultés économiques actuelles auxquelles ils sont confrontés.

Intérêts pétroliers contre intérêts climatiques
Se faisant le porte-parole des ces inquiets, le gouverneur Bill Walker n’a pas hésité à délivrer ce message à Barack Obama : « Nous avons un excellent oléoduc en Alaska, le seul problème est qu’il est aux trois quarts vide. Nous devons donc mettre plus de pétrole dans l’oléoduc. Nous devons également avoir plus d’accès aux ressources ». Représentant de l’Alaska au Congrès depuis plus de 40 ans, le républicain Don Young, favorable à l’expansion des zones de forage, a lui aussi exprimé ses craintes : « Nous ne sommes pas seulement une carte postale », a-t-il prévenu dès l’arrivée de John Kerry dans le 49e Etat.

Quant aux associations de protection de l’environnement, elles aussi sont vent debout contre cette visite. Mais pour d’autres raisons. Et notamment celle du double langage de l’administration sur les questions de pétrole et de climat. Dans le collimateur de ces associations : le feu vert accordé au groupe Shell pour mener des forages dans la mer des Tchouktches, au nord de l’Alaska. « Les signaux contradictoires envoyés par Obama nous laissent perplexes », explique ainsi à l’AFP Rebecca Noblin, directrice du Center for Biological Diversity pour l’Alaska.

Voulant se positionner comme juge de paix et ne surtout pas voir son message brouillé, la Maison Blanche vient d’annoncer, en forme de timide réconciliation, qu’elle allait faire rebaptiser le Mont McKinley, en lui redonnant son nom originel de montagne Denali, appellation donnée durant de nombreux siècles par les populations locales. Une décision symbolique, réclamée de longue date dans cet Etat, qui n’a pas manqué de provoquer un début de polémique à Washington, à quelque 5 400 km de là. Notamment de la part d’élus de l’Ohio – d’où était originaire le président McKinley, assassiné en 1901 au début de son deuxième mandat – qui ont dénoncé « une insulte » pour tous les habitants de leur Etat. Une broutille pas vraiment à la hauteur des enjeux.

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