Analyse Climat

Océans, les grands oubliés de la COP 21

20.11.15

Obnubilée qu’elle est par l’enjeu déjà dépassé de limiter à 2 degrés le réchauffement de la planète, la Conférence de Paris sur le climat en oublie la question des océans. Des « intégrateurs du climat » pourtant acteurs majeurs dans la régulation des températures à l’échelle mondiale et qui n’est pas sans lien avec notre débat à l’école FERRRANDI sur le poisson. Le point sur cet enjeu avec Nicolas Imbert, directeur de l’ONG Green Cross France et Territoires, rencontré à Rennes lors d’un Forum organisé sur la question par nos confrères de Libération.

En juin 2015, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies approuvait une résolution visant à négocier des mesures contraignantes pour obtenir une meilleure mise en œuvre de la convention onusienne sur le droit de la mer. Pourtant, à quelques semaines de l’ouverture de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, les océans restent les grands oubliés de ce raout mondial. Acteurs et victimes du changement climatique, ces derniers jouent pourtant un rôle primordial dans la régulation du réchauffement global.

Cette masse d’eau salée, qui recouvre plus des deux tiers de la planète, fonctionne comme « un intégrateur du climat et limite l’ampleur du changement climatique pour deux raisons essentielles », expliquent, dans un supplément du Monde diplomatique de novembre, les chercheurs français Jean-Pierre Gattuso et Alexandre Magnan. Cela, en absorbant la presque totalité de la chaleur qui s’accumule dans l’atmosphère, soit près de 93% de l’excès de chaleur lié à l’augmentation de l’effet de serre. Mais aussi, en capturant 28% des émissions de gaz carbonique émises par les activités humaines. Une régulation qui pénalise doublement les océans. Ces derniers voyant leur propre réchauffement se matérialiser par la montée du niveau des mers provoquant d’autant l’augmentation de leur acidité. Une double facture écologique que paie cash l’ensemble des écosystèmes marins.

Calcification des coquillages, blanchiment des récifs coralliens, diminution du phytoplancton dans les régions les plus chaudes… Ces perturbations invisibles aux yeux de l’homme ont des répercussions directes sur la chaîne alimentaire des poissons et, donc, sur celle de l’humanité tout entière. Ce sont contre ces impacts déjà irréversibles que des initiatives comme l’opération « Océans 2015 », notamment portée par le CNRS et l’université Pierre-et-Marie-Curie, ou « Objectif Océan », défendu par Green Cross France et Territoires, ont été créées. Pour alerter et l’opinion publique et les décideurs mondiaux sur l’urgence d’agir.

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Nicolas Imbert, vous êtes le directeur de Green Cross France et Territoires. Une ONG, créée sous l’impulsion de Jean-Michel Cousteau et Mikhail Gorbatchev, qui travaille sur ce que vous appelez « les enjeux environnementaux et humanistes ». A quelques semaines de l’ouverture de la COP 21 à Paris, quel est l’état des océans aujourd’hui ?
Pour répondre précisément à votre question, j’aimerai dire qu’il existe une vision pessimiste et une vision un peu plus optimiste de la situation. Ce qui est sûr, c’est que si l’on continue comme cela, sans rien faire, les océans vont continuer de se détériorer. D’être de plus en plus malades. Ce qui pose déjà et va poser, bien plus dramatiquement, des problèmes d’accès à la ressource mais également des problèmes d’eutrophisation qui feront que les océans ne joueront plus leur rôle de régulateur du climat. Evidemment, ce n’est pas le futur que l’on souhaite. Donc, pour en revenir à une vision plus optimiste que Green Cross France défend et sur laquelle on travaille depuis des années maintenant, il ne s’agit pas simplement de dire que l’on va réguler les océans, mais de montrer à l’opinion publique et aux décideurs que cela est possible. Qu’en décidant de s’occuper des océans, on fait le pari d’un impact économique, créant des emplois sur l’ensemble des territoires.

De quelle manière ?
Déjà, en faisant évoluer les pratiques de pêche dans l’optique d’une action qui préserve à la fois la capacité de nourrir la planète et celle de protéger les écosystèmes. Mais aussi de créer rapidement des filières d’économie circulaire, en commençant par la mise en place de structures de gestion des eaux de ballast, de traitement des résidus pétroliers. Toutes ces sources directes de pollution marine consécutives à nos modes de vie occidentale et nos pratiques industrielles. A cette reconquête d’une bonne qualité des eaux, il faut ajouter le développement des énergies renouvelables et des énergies marines.

Ce processus serait également accompagné d’une fiscalité que vous appelez verte et bleue, en référence au carbone et à la biodiversité, et qui devrait être appliquée en fonction de zones géographiques puis élargie au niveau international…
Depuis quelques temps, on sait tous que l’idée de vivre sur une planète dont les ressources seraient inépuisables est un mythe. Il n’y a qu’à voir ce 7e continent de plastique qui se forme depuis des années au nord de l’océan Pacifique. Il n’y a qu’à savoir qu’après la catastrophe nucléaire de Fukushima, les Californiens ont retrouvé dans leur assiette des poissons dont l’estomac contenait des traces de césium. La meilleure façon de ne pas transformer les océans en une poubelle universelle, c’est de travailler rapidement sur ces pistes d’économie circulaire mais aussi d’impliquer directement les citoyens que nous sommes par des petits gestes du quotidien. Comme celui, pour les fumeurs, qui consiste à garder ses mégots sur soi, grâce à un cendrier de poche, puis de les jeter le soir à la poubelle. Agir comme cela ne prend que quelques secondes et évite, en jetant ses mégots dans les égouts, la pollution d’un mètre cube d’océan, en bout de chaîne.

Concernant votre idée de développer une fiscalité sur le carbone et la biodiversité, qu’en est-il exactement ?
Dans le cas d’un accident nucléaire en bord de mer comme cela s’est passé à Fukushima, il nous faut inventer rapidement de nouveaux procédés juridiques et pénaux pour dissuader et condamner, si cela ne suffit pas, les responsables de ces pollutions à grande échelle et au temps extrêmement long. Il ne faut pas oublier qu’au Japon, quatre ans après l’accident du 11 mars 2011, certains des réacteurs de la centrale continuent de déverser, en des proportions dramatiques, de l’eau contaminée dans l’océan.

Ces effets en bout de chaîne, comme vous dites, ont un impact direct sur la chaîne alimentaire des poissons et, donc, sur celle de l’humanité tout entière…
A tel point que les Japonais ont déjà du adapter leur alimentation suite à la pollution directe de leurs mers (mer du Japon, mer de Chine orientale et océan Pacifique, ndlr). A la lumière de cet exemple, et en continuant à agir pour la préservation des océans, on peut tout aussi bien imaginer des solutions allant du développement de l’aquaculture jusqu’à un changement radical de notre régime alimentaire. En arrêtant, par exemple, de manger des espèces en haut de la chaîne alimentaire marine. Pourquoi continue-t-on à manger du saumon et du thon alors qu’il ne nous viendrait pas à l’esprit de consommer du lion, du léopard ou bien de l’éléphant ? Cela permettrait de limiter les incidences sanitaires et de nous tourner vers un mode de pêche plus local et, donc, plus diversifié.

Récemment, on a appris que la France venait d’étendre son domaine maritime à 579 000 km2, soit ni plus ni moins que la multiplication par deux de sa surface. Dans ces domaines de préservation des écosystèmes marins, de régulation de la pêche et de variation du régime alimentaire, elle a clairement un rôle à jouer, non ?
Complètement. C’est vrai pour la France continentale. Cela l’est encore plus pour les îles et l’outre-mer. Sur le domaine maritime dont vous parlez, il existe une variété absolument considérable de petits poissons issus de la pêche côtière et donc de proximité, dont la plupart des stocks ne sont pas menacés. On posant ces nouvelles bases, on peut commencer collectivement à réapprendre à manger différemment et ce, de manière diversifiée. Comme les insectes à la place de la viande, l’algue est également un gisement de protéines qui pourrait progressivement se soustraire au poisson. Ou, tout du moins, agir comme un complément dans notre alimentation.

Mais qui va décréter, un jour, que le poisson doit définitivement céder sa place aux algues ? N’est-ce pas aussi une manière de se désengager de la lutte contre la désertification et la mort des océans ?
Vous avez raison, nous n’imposerons jamais ces changements par la contrainte. Dès à présent, il s’agit de montrer que c’est possible, en donnant envie aux gens, en travaillant sur le plaisir et le goût de ces nouveaux aliments. C’est un sujet sur lequel nous travaillons depuis quelques temps en baie de Saint-Brieuc avec un groupe porté par des chefs étoilés. Ces derniers sont moteurs et commencent à ouvrir l’horizon de leurs clients. Reste à ouvrir celui du plus grand nombre.

Comment faire comprendre à l’opinion que manger du poisson, à long terme, ne sera plus possible ?
Je ne dis surtout pas cela ! Je dis qu’en plus de ces nouveaux produits que sont les algues, il nous faut également remettre au goût du jour des produits de la mer que nous avons fini par délaisser. Il existe plusieurs exemples comme la sardine ou le maquereau. Des poissons qui ne sont absolument pas chers et qui permettent de réaliser, pour 5 à 7 € par personne, un repas complet, à la fois excellent pour ses qualités nutritionnelles et gustatives. Ce qui est intéressant dans la réflexion autour de ces processus, c’est de faire évoluer la majorité des consommateurs sur ces aspects. De leur faire prendre conscience qu’il est plus sain et moins cher d’acheter des produits de la mer issus de la pêche de proximité que de la pêche industrielle. Que cela participe à l’économie de leur pays. Surtout, que cela permet de diminuer fortement tous ces impacts environnementaux qui finissent par tuer les océans.

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