Analyse Bio

Au Brésil, champion du monde des pesticides, le bio progresse à vue d’oeil

01.06.15

Le Brésil, cinquième puissance agricole de la planète mais premier consommateur de pesticides, voit l’agriculture biologique se développer à grande vitesse. Le nombre d’exploitations enregistrées auprès du Ministère de l’Agriculture a doublé entre 2012 et 2015, pour dépasser les 10.000.

Chapeau de paille sur la tête, Matias Lima lave à grande eau des choux aux reflets bleutés et des bottes de carottes biscornues. « J’emporte 70 caisses de primeurs biologiques sur le marché de Flamengo et autant sur celui de Botafogo. Il y a 5 ans c’était trois fois moins« , explique le maraîcher. Dans l’arrière-pays de Rio de Janeiro, ses 2 hectares de citronniers, manioc ou laitues, lovés au creux d’une vallée, ne reçoivent pas une goutte de produits phytosanitaires. Le producteur pratique la rotation des cultures, bâche les carrés de potirons contre les mauvaises herbes, étale du compost au pied des maïs… Et depuis deux ans il écoule quasiment tout en vente directe.

Volumes insignifiants mais forte croissance
« Si on compare avec le soja ou la canne à sucre cela reste insignifiant, moins de 1% de la production. Mais la croissance est impressionnante : certains supermarchés ont acheté 40% de bio de plus en un an« , expose Ming Liu, porte-parole d’Organics Brasil, l’organe chargé de promouvoir le bio brésilien à l’étranger. Des céréales aux produits laitiers en passant par l’élevage biologique, les filières sont en effervescence. En 2012 le marché du bio brésilien a facturé 1,5 milliard de réais (441 millions d’euros à l’époque) de ventes, dont 1/3 à l’export, d’après l’Institut pour la promotion du développement. Parmi les marchandises exportées figurent plus de 300 conteneurs mensuels du sucrier Native mais aussi des citrons, du jus d’orange ou du cacao exempts de produits chimiques. Contrairement à d’autres pays sud-américains, le géant brésilien développe aussi son marché domestique. « Depuis deux ans je cherche des aliments sains, non-contaminés par les pesticides, qui sont trop utilisés au Brésil« , explique Antonio, un professeur en plein achat de bananes et de kakis sur l’étal de Matias Lima et son frère Ailton. Les deux maraîchers vendent pour 2000 réais (590 euros) de produits par semaine, quatre fois plus qu’en 2010. « On a acheté un camion pour transporter nous-mêmes nos marchandises et je vais pouvoir payer l’université à mon dernier enfant« , sourit Ailton, en tablier derrière son stand.

Immenses défis à relever
Le plan national d’agro-écologie de 2013 prévoit 8,8 milliards de réais sur 3 ans (3,3 milliards d’euros) sous forme de prêts, de recherche, de formation professionnelle ou encore d’intrants biologiques. « Le bio répond à deux questions : d’une part notre agriculture, très puissante, doit mieux respecter l’environnement ; d’autre part le Brésil importe 70% de ses fertilisants alors qu’il a un énorme potentiel dans les intrants naturels« , résume Rogerio Dias, coordinateur de l’agro-écologie au Ministère de l’Agriculture. Mais le bio brésilien doit encore relever d’immenses défis. La certification nationale n’est entrée en vigueur qu’en 2011 et se double d’une myriade de certificateurs régionaux. « Nous sommes très en retard. Cinq ministères au moins sont impliqués dans ce secteur, cela complique toute l’articulation« , reconnaît Ming Liu. Du côté des producteurs, il faut vaincre des réticences culturelles. « Ils investissent dans la production biologique et observent une baisse de productivité de leurs plantations de canne à sucre durant plusieurs années« , rappelle Leontino Balbo Junior, patron du groupe Native. Les éleveurs, eux, peinent à trouver des aliments biologiques pour leurs bêtes, d’autant que le soja brésilien est OGM à 93% et le maïs à 82%, d’après le cabinet Celeres. Enfin, même si l’éducation nationale favorise les aliments bios dans les écoles publiques, la consommation de ces produits reste globalement cantonnée aux beaux quartiers de Rio de Janeiro ou Sao Paulo.

Par Hélène SEINGIER

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