La science se cherche Nos amies les abeilles

La santé des abeilles sous l’oeil du microscope à Sophia Antipolis

09.12.16

La France compte des dizaines de milliers d’apiculteurs amateurs mais pour les 2.000 professionnels qui vivent de leur récole, le métier s’apparente de plus en plus à celui d’un éleveur, s’appuyant sur la recherche pour protéger leurs butineuses face aux nouveaux risques.

A Sophia Antipolis, le laboratoire Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire, alimentation, environnement, travail), référent pour la santé des abeilles en Europe depuis 2011, réunissait mercredi et jeudi une centaine de spécialistes pour présenter les dernières avancées en la matière. Star de ces rencontres scientifiques, l’ingénierie génétique fait désormais bon ménage avec les abeilles dont elle est capable de séquencer les agents pathogènes (virus, bactéries, parasites) ou de rechercher les marqueurs de résistance qu’une reine peut transmettre à sa descendance. Sur un écran géant projeté devant une assistance studieuse, une laborantine est filmée en train d’ouvrir à la pince les alvéoles d’un couvain -le nid avec les bébés abeilles – pour vérifier si elles sont infestées par le varroa.

Ce parasite « Varroa destructor » est une vieille connaissance des apiculteurs qui le traînent comme un boulet depuis le milieu des années 1980. Ils sont souvent obligés de traiter chimiquement, ce qui laisse des résidus dans la cire. La recherche génétique pourrait changer la donne. « Certaines nourrices sont capables d’identifier les alvéoles parasitées, de les ouvrir et de les nettoyer. Dans d’autres cas, le couvain inhibe la reproduction du varroa femelle », explique Fanny Mondet, ingénieur de recherche INRA venue d’Avignon.

Nouvelle menace

Son programme « BeeStrong » s’intéresse au génotypage des colonies d’abeilles qui arrivent à survivre naturellement aux infestations du varroa, c’est-à-dire à trouver les marqueurs génétiques transmis par les reines à leur descendance dans ces colonies rustiques. L’erreur à ne pas faire serait de s’engager dans la sélection d’une lignée super-résistante, ce qui poserait d’autres problèmes en termes de biodiversité, souligne-t-elle, mais « l’enjeu est la sélection de colonies qui peuvent mieux vivre avec le varroa ».

Jean-Louis Lautard, apiculteur près de Grasse et qui a prêté ses ruchers pour l’expérience, s’étonne. Il ne fait pas de manipulation génétique mais surveille attentivement ses lignées, note leurs récoltes, si elles essaiment, entretiennent bien leur couvain, etc. Ils élèvent aussi ses reines et ses mâles. Au final, ses colonies se classent parmi les plus résistantes au varroa. « Ce n’est pas à ma portée de faire du séquençage génétique mais ces échanges avec les scientifiques apportent de bonnes synergies », commente-t-il. « Le métier reste bucolique, la nature en fleurs est toujours aussi belle, des abeilles qui butinent c’est une explosion de vie magnifique mais la technicité a progressé, et la qualité des miels aussi. On reste des chasseurs de miel mais sans la technique, il est difficile de faire face à tous les aléas ».

Les abeilles sont décimées par un mortalité qui touche chaque année 30% à 60% des colonies, et une nouvelle menace se profile. Il s’agit du petit coléoptère de la ruche, de son nom latin « aethina tumida ». Le seul traitement est de brûler la ruche, selon l’Anses. Plusieurs foyers de ce parasite d’origine américaine ont été provisoirement circonscrits en Italie depuis 2014, mais « il est à nos portes », souligne Axel Decourtye, directeur scientifique et technique de l’Institut de l’abeille (Itsap).

« Ces rencontres servent à réfléchir à l’abeille de demain et à donner aux apiculteurs les moyens de choisir l’abeille avec laquelle ils veulent travailler », se félicite ce chercheur qui a fait date en 2012 en apportant la preuve que les pesticides peuvent ne pas tuer les abeilles, mais qu’une nanodose peut avoir des conséquences dramatiques en empêchant les butineuses de revenir à la ruche. Depuis, ses équipes travaillent à un test écotoxicologique standard à l’aide de puces à radiofréquence RFID dans l’espoir qu’il s’imposera pour l’homologation des produits chimiques mis sur le marché pour les agriculteurs, un processus qui va prendre encore plusieurs années et dépendra du bon vouloir de l’administration européenne.

Par Claudine RENAUD

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