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Okus doma, un « petit goût de chez soi » pour s’intégrer

10.12.15

Dans une cuisine à la périphérie de Zagreb, nichée sur le flanc de la montagne qui surplombe la ville, un Nigérian, un Éthiopien et un Croate plongent les mains dans une farine assaisonnée de zeste d’orange. Tous chefs, ils préparent des pains qui leur rappellent leurs patries.

Un Petit goût de chez soi
Ils appartiennent à « Okus Doma » (un Petit goût de chez soi), un groupe qui aide les migrants à se refaire une vie et à rencontrer des amis en Croatie en cuisinant et échangeant des recettes. « S’installer dans un nouveau pays est difficile« , fait remarquer David Ajobi, Nigérian de 34 ans originaire d’Abuja, pendant qu’il pétrit la pâte pour en faire le fameux pain « agege » d’après une recette que sa mère lui a apprise. « Okus Doma réunit les gens qui peuvent montrer ce dont ils sont capables et de quelle manière ils peuvent contribuer » au groupe, dit-il devant une table pleine de bols et de rouleaux à pâtisserie. Depuis la mi-septembre, des centaines de milliers de migrants transitent par la Croatie, fuyant les conflits au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique, et poursuivant leur route vers l’Europe occidentale.

Certains d’entre eux ont toutefois décidé de rester en Croatie où « Okus Doma » les accueille, quelles que soient les raisons pour lesquelles ils sont arrivés là. Depuis sa création en 2006, ce groupe – qui au départ s’est mis en place dans le but d’aider les réfugiés à préserver leurs coutumes – a réuni des gens et des recettes provenant de tous horizons, de la Syrie, l’Afghanistan et l’Irak, mais aussi du Zimbabwe ou de l’Algérie.

Des rêves culinaires
Ses membres, dont des volontaires croates, échangent leurs recettes et anecdotes dans les cuisines de la capitale croate en participant à des ateliers et des festivals. Ils préparent aussi de la nourriture sur demande. Et aspirent désormais à lancer un restaurant qui proposerait des spécialités afghanes, kurdes, algériennes… Le projet a aussi pour but de sensibiliser la population locale de cette ex-république yougoslave, dont la grande majorité des 4,3 millions d’habitants sont blancs et catholiques, à d’autres cultures.

En Croatie, « les institutions sont très traditionalistes et pas très ouvertes (…) les gens de ne sont pas habitués à voir des couleurs de peaux différentes« , remarque Emina Buzinkic, qui compte parmi les initiateurs du projet. Préparer des plats avec les réfugiés et d’autres nouveaux venus « nous rapproche d’eux« , fait-elle valoir. « On s’aperçoit qu’il s’agit de gens qui ont leurs craintes, leurs vies, c’est un échange très important« . L’idée est née lors de conversations dans les cafés de Zagreb, sur la cuisine notamment, entre des volontaires croates et des demandeurs d’asile. « Nous avons tous connu l’expérience de la guerre et les vagues de réfugiés, nous voulons montrer que nous comprenons cela« , dit Mme Buzinkic, 31 ans, en se référant au conflit en Croatie de 1991-95.

Perdre ses racines
« Une Palestinienne, Sara« , se rappelle-t-elle, « m’avait parlé d’une tarte que sa grand-mère préparait en m’assurant qu’il s’agissait du plus fort de ses souvenirs d’enfance. Elle n’en a plus jamais mangé et avait le sentiment d’avoir perdu ses racines« . Sara est depuis partie en Europe occidentale, mais cette discussion, entre autres, a inspiré la création d’Okus Doma. La composition du groupe change fréquemment car beaucoup de migrants, attirés par les occasions qu’offre l’Occident, finissent par quitter la Croatie, découragés notamment par la longue et incertaine procédure en vigueur dans ce pays pour obtenir le statut de réfugié. Des Syriens qui étaient établis en terre croate ont ainsi récemment saisi l’occasion de se rendre en Allemagne, en se joignant à la vague de migrants qui traverse les Balkans depuis des mois.

Les chefs qui oeuvrent au sein d’Okus Doma s’appliquent à collecter des fonds pour développer leur entreprise, publier des livres de recettes et, à terme, ouvrir le restaurant dont ils rêvent. Parmi eux, Sadou Diagne, un Sénégalais de 25 ans, est en Croatie depuis un peu plus d’un an. Ce réfugié préfère ne pas parler des raisons qui l’ont poussé à fuir son pays. « C’est quelque chose que je veux vraiment oublier« , dit-il. En revanche, il se remémore avec plaisir le jour où il a cuisiné pour la première fois un des classiques de son Sénégal natal, un plat épicé fait de poissons et de riz dans de la sauce tomate. Echanger des recettes venant d’autres régions « a été un plaisir » et un moyen de mieux refaire sa vie à Zagreb, dit-il. « Il s’agit désormais d’une nouvelle famille et de nouvelles expériences« .

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