Analyse Production

S’estimant « piétinés », des paysans cambodgiens attaquent le groupe Bolloré en justice

29.07.15

Ils estiment que leurs droits ont été « piétinés par la multinationale française »: une cinquantaine de paysans cambodgiens assignent en justice, en France, deux sociétés du groupe Bolloré, réclamant la « réparation » du « préjudice matériel et moral » causé par leur activité agricole dans la région.

« Le développement de l’hévéaculture par Bolloré au sein de la commune de Bousra, dans l’est du pays, s’est fait systématiquement au détriment des habitants Bunongs et des demandeurs en particulier, dont les droits ont été littéralement piétinés par la multinationale française », dénonce l’assignation délivrée à la société Bolloré et à la Compagnie du Cambodge. Ces paysans de la minorité autochtone bunong, qui demandent la « restitution de terres » et des « indemnisations », affirment subir « la perte de leurs ressources économiques, la destruction de leurs lieux de culte et la dégradation de leur environnement » du fait de l’activité d’une coentreprise du groupe, Socfin-KCD, expliquent-ils dans l’assignation dont l’AFP a pris connaissance. Ils déplorent des « expropriations », des « déplacements de populations » et des difficultés croissantes à pratiquer leur agriculture itinérante traditionnelle, faute de terres, avec pour conséquence une « perte de revenus » et une « insécurité alimentaire ». L’assignation évoque aussi un « désastre écologique »: « perte de la biodiversité » du fait de la monoculture d’hévéas et « déforestation ».

Cette déforestation met également en péril leur pratique religieuse, « une croyance animiste fondée sur la sacralisation des forêts », disent-ils. « Les sociétés du groupe Bolloré n’ont pas hésité à raser ces parties sacrées de la forêt du Bousra, entraînant la destruction d’arbres considérés comme des divinités », souligne le document. « Les opérations ont également eu pour conséquence l’anéantissement de leurs lieux de sépultures ». « Essayer de faire valoir leurs droits dans le pays où la décision a été prise, et pas dans celui où elle est appliquée, est une démarche totalement inédite de la part de victimes des investissements internationaux », clame Me Fiodor Rilov, avocat des paysans cambodgiens.

« Actionnaire minoritaire »
Si l’action devant le tribunal de grande instance de Nanterre vise la société Bolloré et la Compagnie du Cambodge, c’est qu’elles « exercent à partir de la France le pouvoir opérationnel dans le Bousra au sein de la joint-venture Socfin-KCD dont elles dirigent et organisent au quotidien les activités », justifie l’assignation. Une allégation que réfute le groupe Bolloré. Contacté par l’AFP, il assure que « la Compagnie du Cambodge n’a plus de plantations au Cambodge depuis un demi-siècle », et ajoute n’être « qu’un actionnaire minoritaire et financier (à 39%, NDLR) dans Socfin, qui est géré et contrôlé par la famille belge Fabri ». La holding possède des plantations de palmiers à huiles et d’hévéas au Cambodge, via Socfin-KCD, ainsi que dans plusieurs pays africains et en Indonésie.

Autant de pays où l’Alliance internationale des riverains des plantations Socfin Bolloré a lancé en avril une série d’actions de protestation: occupations d’usines et de plantations, au Cameroun notamment, mais aussi une pétition intitulée « Bolloré a pris nos terres. Et maintenant notre liberté », ouverte le 3 juin sur le site sauvonslaforet.org et qui a recueilli près de 75.000 signatures. L’Alliance dénonce l’expansion « continue » depuis 2008 des plantations de Socfin, qui provoque « de graves conflits avec les populations riveraines qui sont privés de terres et voient leurs conditions de vie sans cesse se dégrader ». D’après l’ONG française ReAct, qui soutient le mouvement, des négociations au niveau local sont en cours. « Bolloré s’est repositionné sur ses engagements et essaie de faire revenir Socfin à la table des négociations », précise-t-elle. « A ma connaissance, il n’y a pour l’heure pas d’autre procédure judiciaire envisagée », affirme Me Rilov, pour qui il n’est toutefois « pas interdit de penser que la démarche fasse des émules ».

Par Raphaëlle PELTIER

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