Hospitalité Voyage à Naples

Mozzarella à la fleur de lait

21.04.17

Naples a une image de capitale déchue. Elle fut pourtant la plus grande ville européenne de la modernité avec Istanbul et Paris, le berceau de l’illuminisme italien et la première république à suivre la Révolution française, même si de façon éphémère. Elle est aujourd’hui synonyme de Camorra ; miroir de tous les problèmes italiens, elle est détestée par tous ceux qui se voilent la face. Mais Naples a fortement contribué à la construction de l’identité italienne, très centrée sur l’alimentation.

Les pâtes, la pizza, la tomate, la mozzarella et le café sont des produits marqués d’un « Made in Naples » devenus les symboles de la cuisine italienne, aussi bien à l’étranger que dans la botte. Pour vous conter cette histoire succulente, je vous propose une balade dans la péninsule de Sorrente, partie sud de la baie de Naples, où production agricole, industrie et tourisme se mêlent en un puzzle compliqué, avec l’île de Capri comme toile de fond. La silhouette de Capri toujours à l’horizon, nous continuons notre promenade gourmande à la découverte de la propriété transitive de l’identité gastronomique. Ou comment Naples a élaboré son identité alimentaire et comment celle-ci a ensuite endossé une veste nationale. Une petite revanche des perdants de l’unification de la Botte pourrait-on dire, même si ce serait trop réducteur. L’identité est un phénomène complexe qui cache bien sa nature éphémère. Aux autoroutes des explications cause-à-effet et raccourcis dialectiques, elle préfère les sentiers en volutes de la narration. Comme tous les mythes.

Mythique, l’image et l’histoire du buffle l’est sans conteste

On sait peu de choses sur son apparition en Italie, les hypothèses prennent des allures de roman, un peu comme pour les Etrusques. Sa présence y est quoi qu’il en soit millénaire, tant et si bien que l’on parle d’une race distincte des autres buffles, avec un patrimoine génétique bien spécifique. Aimant les milieux palustres, il a pris possession des zones humides, en particulier en Campanie et dans l’Agro Pontino (territoire à la frontière entre Latium et Campanie), inadaptées aux autres animaux d’élevage.

Buffles et bufflonnes vivaient dans un état semi-sauvage, s’alimentant du fourrage pauvre de ces terres. Dans un contexte d’économie rurale de subsistance, ils produisaient lait (en quantité limitée) et travail, ainsi qu’une viande maigre et du cuir. Ce n’est qu’au XVIIème siècle qu’élevage, production fromagère et distribution s’organisent et gagnent le marché de Naples et de Salerne. Il s’agissait alors surtout de ricotta fumée et mozzarella fumée (provola en italien) qui pouvaient se garder plus longtemps.

bufflone

L’économie liée au lait de bufflonne se développe jusqu’à l’époque du fascisme, quand une politique de récupération des zones humides fait disparaitre son milieu de prédilection. Dans les années 1950, les buffles semblaient condamnés, vestige d’un passé sauvage à oublier au plus vite. L’agriculture intensive, une grande cathédrale sidérurgique et le développement industriel représentaient l’étoile polaire à suivre.

Mozzarella, ricotta et provola

La cathédrale est aujourd’hui en ruine, peu d’industries ont survécu et l’agriculture productiviste s’est révélé être une Fata Morgana. L’élevage de bufflonnes, lui, se porte bien avec 200 000 têtes — probablement le plus grand troupeau de l’histoire — et 15 000 employés. Les animaux ne vivent plus dans leur milieu naturel mais plutôt en stabulation et des produits jusque là de consommation locale (mozzarella, ricotta, provola) ont fait leur entrée sur les scènes gastronomiques nationale et internationale — fraîcheur et qualités organoleptiques étant préservées grâce au développement des transports.

Mais Naples est une civilisation baroque où, par définition, rien n’est vraiment ce qu’il semble être. Revenons donc sur le terrain, plus précisément dans les Monti Lattari qui séparent le Golfe de Naples de celui de Salerne. Leur nom fait référence au lait (latte en italien) : la réputation du lait qui en provenait est attestée dès l’époque romaine, mais c’est au cours du siècle des Lumières que leur production fromagère devient célèbre et importante. Le provolone del Monaco, à base de lait d’Agerolese — la race bovine autochtone — devient le fromage le plus prisé à Naples et dans tout le royaume des Deux-Siciles. Fromage à pâte filée comme la mozzarella, le provolone — aussi connu sous le nom de caciocavallo — est, contrairement à elle, longuement affiné. La richesse des pâturages et les conditions pédo-climatiques idéales pour l’affinage en font le prince des provoloni, typologie fromagère typique du sud de l’Italie.

mozzarella

Fiordilatte (fleur de lait) : mozzarella de vache

À partir de XIXème siècle, la production de cette famille de fromages se délocalise vers le nord de l’Italie où la matière première (le lait de la plaine du Pô) est meilleur marché. Au sud restent les productions d’excellence comme le provolone del Monaco, ou encore le ragusano en Sicile, mais leur production devient confidentielle et leur consommation, locale, et aujourd’hui, les Monti Lattari produisent surtout du fiordilatte, mozzarella faite avec du lait de vache, très considérée sur le marché napolitain. Son très beau nom (littéralement : fleur de lait) s’est diffusé dans les années 1950 afin de le distinguer de la mozzarella de bufflonne. Mais la mozzarella a de tout temps été réalisée avec d’autres laits que celui de bufflonne, et bien au-delà de la seule zone de Naples : lait de vache dans les Pouilles et tout le sud de la Botte, et même lait de brebis en Sardaigne !

L’industrie s’est approprié le nom de mozzarella pour désigner des produits génériques au lait de vache hors sol, sans goût et sans intérêt, mais on trouve des fiordilatte fabriqués artisanalement à base de lait de vaches souvent rustiques qui ont pâturé sur les coteaux des Apennins. Une appellation d’origine, Fiordilatte degli Appenini Meridionali, devrait prochainement aider à distinguer cette fleur de lait de vache de la multitude de produits génériques. Et donc permettre à tous de participer au débat qui enflamme les Napolitains depuis des générations : sur la pizza, fiordilatte, éventuellement d’Agerola, ou mozzarella di buffala ? Bien sûr, la réponse à cette question n’a aucun intérêt et c’est la discussion elle-même qui est savoureuse. Les repas à Naples durent des heures…

Épilogue : à propos de la pizza justement, elle fait figure d’exception par rapport aux pâtes, tomates et mozzarella qui battent désormais pavillon italien. Même si sa consommation est entrée dans les habitudes de tous les foyers du pays (se banalisant sous la forme de produits surgelés à réchauffer au micro-ondes), elle reste dans l’imaginaire des Italiens une « affaire napolitaine ». De la même façon que, pour les Français, les crêpes gardent toujours l’accent breton, peu importe où, comment ou par qui elles auront été faites.

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