Portrait Artisan

Des fruits enivrants

30.11.16

C’est en 1834, à Villamblard au cœur du Périgord, que débute l’histoire de la Maison Clovis Reymond. L’une des spécialités de cette distillerie « à l’ancienne » : les fruits à l’eau de vie.

Visiter la distillerie Clovis Reymond, c’est d’abord effectuer un délicieux voyage dans le passé. Une devanture en bois, décorée à l’ancienne, un panneau en acier accroché à un mur en pierre de taille guident le client vers l’étonnante boutique. A l’intérieur, une vaste pièce aménagée d’immenses étagères en bois. Partout des bouteilles, d’apéritifs, de sirops, d’eau de vie et des bocaux, de toutes formes, de toutes couleurs, rangés au cordeau. On y devine la rondeur des prunes, des poires et des cerises qui y sommeillent depuis des mois. Des étiquettes façon début XXe siècle ajoutent une touche graphique à cette ambiance très vintage. Dans une pièce adjacente, apparaissent des jarres en terre cuite remplies d’abricots baignant dans leur sirop. Il faut se faire violence pour ne pas y tremper les doigts. Dans un bâtiment situé à quelques mètres, trônent trois alambics aux cuivres rutilants. L’un d’entre eux date de 1834. Il sert encore à la distillation de la gentiane, des fèves de cacao, de l’abricot…

1834. C’est cette année-là que débute l’histoire de la Maison Clovis Reymond. Louis Reymond, aubergiste et bouilleur du cru plus connu sous le nom de « Clovis », obtient une licence pour distiller. Une activité complémentaire à celle de restaurateur. Et c’est son fils, officiellement prénommé Clovis, qui fonde la distillerie en 1860. C’est lui que l’on voit sur l’une des affiches d’époque, chapeau haut de forme sur la tête, cuillère à la main, émergeant d’un bol de punch enflammé. Du punch en plein Périgord ? Etrange. C’est pourtant la première spécialité de la Maison en cette fin du XIXe siècle. Le punch Clovis Reymond, élaboré à partir de rhum brun de la Martinique, se boit dans tous les cafés de la région. Les liqueurs (Cherry brandy, crème de cacao à la vanille, anisette, curaçao triple sec…) viennent rapidement enrichir la gamme. Les fruits à l’eau de vie apparaissent à leur tour au début du XXe siècle. Prunes, abricots, cerises, mirabelle… font beaucoup pour la réputation grandissante de la Maison.

Maison Clovis Reymond Distillerie

Sixième génération


Gabriel Reymond succède à son père : maire de Villamblard et résistant, il est tué par les Allemands. Son fils, Jean-Clovis, reprend le flambeau après guerre. À sa mort, c’est à son gendre, Jean-Paul Marty, que revient la responsabilité de diriger l’entreprise, charge cédée à ses deux fils, Jean-François et Stéphane, au début des années 2000. 180 ans d’histoire, six générations de la même famille, on comprend mieux pourquoi Clovis Reymond cultive un tel goût de la tradition. Ce qui n’empêche pas la Maison, au fil des ans, d’innover et de diversifier sans cesse sa gamme de produits : apéritifs à base de noix, de poires, de mûres, de châtaignes, de gentiane, eaux de vie, sirops au cassis, au citron ou à l’anis…

Des mois de macération


Mais revenons à nos fruits à la liqueur. Quels en sont les secrets de fabrication ? « Il n’y a rien d’extraordinaire, tempèrent les deux frères Marty. Tout est lié à la qualité du fruit, de l’eau de vie et au savoir-faire ». Les fruits frais arrivent début juillet. Il est préférable qu’ils soient un peu verts et fermes. La Reine-claude vient par exemple du Lot-et-Garonne. Le fruit est ensuite cuit dans de l’eau bouillante pendant quelques minutes, puis il trempe dans un sirop pendant 24 heures, avant d’être placé dans une barrique en chêne ou une jarre en terre. Là, il macère dans de l’eau de vie trois ou quatre mois minimum. Chaque fruit ayant droit à sa propre eau de vie que les Marty distillent l’hiver. Puis vient le temps de la mise en bocal.

La Maison Clovis Reymond travaille avec plusieurs restaurateurs de la Dordogne. À l’Auberge de la Truffe, à Sorges, on utilise leurs produits depuis des années. « Soit pour agrémenter une assiette, soit pour parfumer un dessert », souligne son chef, Pierre Corre. Une eau de vie de noix prendra toute sa place dans la préparation d’un gâteau aux noix. La mandarine entre avec bonheur dans la réalisation des crêpes soufflées et nombreux sont les sorbets dont les saveurs peuvent être relevées par la présence discrète d’une eau de vie.

En ce jour de janvier, Marie-Line s’occupe de remplir des bocaux de prunes. À l’aide d’une pince, elle vous tend une jolie Reine-claude, d’un vert soutenu. Croquante à souhait, sa chair se déchire délicatement en bouche. Chaque coup de dents libère un peu d’eau de vie. Délicieusement parfumée. Ni trop forte, ni trop légère. Parfaite. Le soleil pointe le bout de ses rayons. La journée s’annonce magnifique.

Vieille distillerie Clovis Reymond
49 rue Gabriel Reymond
24140 Villamblard
tél : 05.53.81.90.01.

Article écrit par Olivier Plagnol pour Le Mag
Sud Ouest et Le Mag sont partenaires de l’appli Adresses Gourmandes.

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