Ville campagne Artisan

Dans les Vosges, les dernières fèves artisanales sortent de terre

05.01.17

Dans leur petit atelier des Vosges, Christel et Muriel Nex sont depuis plusieurs mois à l’ouvrage. Entourées de terre et de pinceaux, les deux soeurs sont parmi les dernières à fabriquer, entièrement à la main, les fèves qui garniront les galettes des rois. A 48 et 51 ans, elles ont repris les pinceaux de leurs parents, tombés un peu par hasard dans les fèves dans les années 1990.

Leur père, artiste-artisan à ses heures, avait commencé par quelques fèves. Sa femme l’avait rapidement rejoint. Quand les parents ont passé le relai, ils fabriquaient entre 40 et 50.000 fèves chaque année. Leurs filles ont maintenu la production. La cadette, qui a passé deux années à apprendre auprès de son père, a fini par reprendre la boutique en 2005, pour « perpétuer ce qu’ils nous ont appris, à faire du beau. Et les gens apprécient, puisque les gens viennent à nous« .

Plus que de boutique, il faudrait parler d’atelier: on ne passe pas par hasard acheter une ou deux fèves ici. Ce sont les boulangers et pâtissiers de la France entière qui passent leurs commandes, soit en demandant des dessins particuliers, soit en choisissant parmi les créations des deux soeurs. Et le reste de l’année, elles écument les salons pour collectionneurs, avides de leurs raretés.

Tradition du XIVème siècle

« Il n’y a pas deux fèves avec le même coup de pinceau« , fabrication main oblige, rappelle Christel, et il n’y aura à priori jamais plus de fèves que ce qu’elles produisent. « On n’a pas de machine. Tout est fait avec nos mains. Donc, si on veut garder la même qualité, on ne peut pas augmenter le volume« , résument-elles. Ce qui n’empêche pas d’innover: « chaque année, on essaie d’avoir dans nos collections des sujets, des thèmes différents« , explique Christel. « Mais on aime bien avoir à chaque fois un sujet sur la Lorraine, et des sujets plus colorés pour les enfants« . La tradition de tirer un roi rappelle l’usage des Romains, qui, « lors des Saturnales, élisaient, en jouant avec des dés ou des osselets, un roi de fantaisie qui présidait aux banquets domestiques« , écrit l’historienne Nadine Cretin dans son livre « Fêtes de la table et traditions alimentaires ».

Et dès le XIVe, siècle, c’était en cachant une fève dans un gâteau que l’on désignait le souverain du jour. Une tradition qui n’a pas fleuri qu’en France: En Espagne, « il est de coutume de manger du ‘roscón de reyes’ (brioche des rois) » pour l’Epiphanie, un pain couvert de sucre et de fruits confits. « On y insère maintenant un petit jouet ou une pièce de monnaie« , souligne Mme Cretin. En Grèce, pour « le 1er janvier, on mange le pain de Saint-Basile qui cache une pièce de monnaie« . Tandis qu’en Roumanie, « le gâteau du 1er janvier est le placinta fait avec des feuilles de pâte étirée. Après l’avoir coupé en morceaux, la maîtresse de maison glisse dans chaque part un petit carré de papier: voeux, présages, vers humoristiques… »

Feves artisanales de Christel et Muriel Nex dans les Vosges
Photo AFP / Jean Christophe VERHAEGEN

Travail d’orfèvre pour prix secret

Dans le petit atelier des Vosges, chaque fournée de fèves prend plusieurs jours, de la création à la cuisson finale. « De la fabrication de terre jusqu’à l’émaillage et après la cuisson il y a en moyenne une vingtaine de manipulations par fève« , expliquent les soeurs. Il faut tout d’abord la créer, imaginer le dessin. Puis, une fois le dessin achevé, passer au moule. La phase la plus délicate: il faut non seulement le façonner, mais vérifier qu’il a la bonne consistance. Trop liquide il ne tient pas, trop humide il fait perdre à la terre la forme souhaitée par les deux créatrices. Cette délicate opération terminée, il faut mouler toutes les fèves, une à une, y apposer le sceau de l’entreprise, et les cuire, deux fois.

Chaque cuisson peut prendre plus de 14 heures. Un travail d’orfèvre dont le prix reste secret, mais ce n’est pas lui qui fait monter celui de la galette, assure Christel, cheveux blancs et geste assuré quand elle passe le pinceau fin sur la collection de fève qu’elle s’apprête à cuire: de jolies colombes posées sur des cercles, qui seront ensuite teints de couleurs pastels, avant de passer au four une seconde fois. Une partie d’entre elles rejoindra peut-être les murs du petit atelier, où les collections classique – petit jésus emmailloté ou animaux – côtoient une collection Kama-Sutra, des plumes d’écrivain enluminées de platine, ou quelques fèves commerciales aux logos des entreprises. Trônant devant la porte d’entrée, un des chefs d’oeuvre de l’atelier accueille les clients: la place Stanislas de Nancy, construite entièrement de fèves s’emboitant les unes aux autres.

Par Camille BOUISSOU pour AFP

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