Portrait Artisan

Cazenave n°19

12.11.16

En 2000 des panneaux ont vu le jour aux cinq grandes entrées de la ville annonçant « Bayonne, capitale du chocolat depuis quatre siècles ». Ca vous pose un décor. Même si on se méfie un peu des légendes à touristes, on sait qu’en 1857, la ville affichait 29 chocolatiers, dont la Maison Cazenave. Amis du changement et de l’innovation pour l’innovation, passez votre chemin, ici les maître mots sont conservation et dynastie, tradition et qualité pour toujours et aussi, côté consommateur, madeleine de Proust.

 

L’histoire commence très exactement le 6 août 1854. Sa Majesté l’Impératrice Eugénie se fait dorer les doigts de pieds à Biarritz accompagnée de son empereur favori, Napoléon III. Comme c’est encore le cas à Buckingham Palace aujourd’hui, le Palais des dirigeants s’occupait aussi du palais des citoyens en décernant des prix du genre « fournisseur breveté de Sa Majesté ». La distinction échoua ce jour là à la fabrique de chocolats Penin qui fut rachetée par un certain Pierre-Martin Cazenave, recettes, fabrique et distinction comprises. Le gars a 22 ans et voit loin. Fin de l’acte 1.

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La chocolaterie Cazenave fournisseur de S.M l’impératrice Eugénie

Acte 2 : Entrée en scène de la dynastie Biraben, chocolatiers, confiseurs et liquoristes, originaires du Béarn. Joseph Biraben (1791-1869), ouvre, en 1815, sa fabrique. Son fils aîné, Vital, lui succédera ainsi que ses petits-enfants Cosme et Prosper à Bayonne, Jean-Baptiste à Dax, Dominica à Biarritz. Cosme aura un fils, Vital également, qui, avec son épouse se portera acquéreur en 1929 de la maison « Chocolat Cazenave » qui vient de se prendre de plein fouet la gigantesque crise économique de cette année là. Acte 3 : Claudine Bimboire entre en 1907 comme serveuse dans la chocolaterie alors propriété de Vital. Elle y travaille sans relâche jusqu’à ce qu’en 1934, Madame Biraben, veuve de Vital, et sans héritier, propose à Claudine Bimboire de reprendre la chocolaterie. Elle vend les bijoux de sa soeur, et l’aventure se poursuit…

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Au n°19 rue Port Neuf, la chocolaterie semble presque inchangée depuis son ouverture

Pantxoa Bimboire nous accueille avec la rigueur d’un chef d’entreprise. On en n’attend pas moins du Vice-Président de la Chambre de commerce et d’Industrie de Bayonne. Le petit-fils Bimboire ne s’étend pas trop sur les suites de la fabuleuse histoire de la chocolaterie, côté transmission par les hommes.

« Curieusement, ce sont surtout les femmes qui ont permis à cette chocolaterie de rester dans cette état de conservation et d’assurer la qualité constante des produits. D’abord ma grand-mère Claudine, et puis ma mère qui a longtemps travaillé ici. Et puis ma sœur et moi avons eu des enfants, mais aucun ne veut reprendre la chocolaterie. »

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Pour commencer et bien comprendre le sujet, un café accompagné de chocolats s’impose

On a pourtant noté un jeune homme sacrément calé sur le chocolat qui nous a servi la veille. « Ah oui, Florient (Benac), c’est le copain de ma fille et, effectivement, il a passé son C.A.P. de chocolatier, il a même fait son stage chez nous ! » Et comme en plus, le jeune homme a eu la bonne idée d’apprendre le basque, la Maison Cazenave pourrait éventuellement continuer à figurer dans le patrimoine familial. « C’est certain que si cette Maison devait ne pas être reprise par la famille, je vendrais. »

Pantxoa a un temps mort, comme s’il se projetait dans l’épouvante absolue. Lui ne vient pas de ce monde, il est même tout nouveau. Jusque là, c’était sa sœur qui était aux commandes. Lui a longtemps dirigé une grosse unité de production de chaises de bureaux. Le fonctionnement d’une entreprise, il connaît ça par tous les bouts. Compétences inutiles dans un univers où ne rien changer est la règle ? « Non, même si nos clients viennent chercher ici une pièce d’histoire, la concurrence existe et il faut quand même innover. »

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La spécialité de la maison, le chocolat à boire moussé à la main

Alors, que vient-on chercher à la Maison Cazenave ? Hors période de Noël, on répondra : à boire ! Car ici, le sommet des ventes se fait dans la partie Salon de thé avec le chocolat au lait moussé à la main, accompagné de ses toasts et de son petit pot de crème. Et le contenu n’aurait pas le même goût si le contenant n’était pas tout aussi sublime, avec un service de porcelaine de Limoges aux fleurs roses, inchangé depuis l’origine.

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On y trouve toute sortes de chocolats dont le fameux Kanouga, d’un fondant à toute épreuve

Quant à l’intérieur du magasin, sous les vitraux signés Mauméjan, on achète son chocolat au Numéro, en commençant par le 19, clin d’œil à Chanel, dont les grosses plaques de 250 grammes sont plutôt dédiées à la réalisation des chocolats chauds ou à la cuisine. Toutes sortes d’autres parfums existent mais la base reste la même, un assemblage de trois fèves en provenance du Pérou, du Vénézuela et de Trinidad qui donnent un cacao avec une typicité particulière et dont la recette est au coffre, classée au patrimoine de l’humanité bayonnaise.

Le packaging s’est subtilement modernisé, disons qu’il est devenu plus gai dans une Maison qui affiche un sérieux quasi monacal. Ici, on ne vient pas pour parler fort ou jouer avec son portable mais pour tenir des conversations posées et déguster religieusement les beaux restes de la Capitale du chocolat depuis quatre siècles.

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Ici le Kanouga se coupe à la main

Chocolaterie Cazenave
19 Rue Port Neuf
64100 Bayonne

Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes.

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